Que voilà un titre pompeux pour se présenter, diront certains. Et ils auront raison. C'est pourquoi, je vais couper court directement à toute protestation, en expliquant la raison de ce titre de gloire :
J'ai choisi cet intitulé parce que c'est vrai.
Demandez à l'intéressé, il me l'a souvent répété. Que serait-il devenu, si personne n'avait essayé de le *rafistoler* ? Qui se serait soucié de (excuse-moi, Steve mais ce sont tes propres mots) *cette moitié d'homme* végétant dans un hôpital militaire miteux ?
Bien sûr, je n'étais pas le seul capable de faire ça. Mais il se trouvait que j'étais son médecin depuis son entraînement d'astronaute, et qu'au fil des ans, des missions et des examens médicaux, il était devenu mon ami.
Le reste n'est que littérature. Oui, j'ai eu la chance d'être approché par le Pentagone pour participer au projet *bionique*. Oui, j'ai été soulagé de pouvoir faire quelque chose pour aider un jeune homme bien, courageux, qui ne méritait de loin pas ce qui lui était arrivé ! Et oui encore, je veux bien l'avouer, tout cela a été une opportunité extraordinaire pour ma carrière !
Comme toi, mon neveu par alliance, j'aurais certainement végété si le prototype aux commandes duquel tu te trouvais ne s'était pas écrasé. J'aurais continué à prendre soin d'hommes en pleine santé, à mesurer leur capacité pulmonaire, à tester leur oxygénation à l'effort, à contrôler leur taux d'albumine, de cholestérol et de glycémine... que sais-je ?
Alors qu'en *recollant les morceaux*, c'est toute un monde qui s'est ouvert à moi. Non seulement le fonctionnement des prothèses en elles-mêmes, mais tous les à-côtés...
Crois-le ou non, mais avant ton accident je n'avais jamais vu vraiment l'intérêt du volet *psy* d'une thérapie. Alors qu'en te voyant réagir à ce qui t'arrivait, en te regardant avec tes doutes, tes moments de rejet, tes découragements et parfois tout de même ton enthousiasme béat, j'ai compris toute la fascination de ce monde intérieur...
Je suis conscient de l'énormité que cela représente pour toi, Steve, mais il faut que je l'admette : en faisant le bilan de mes quelques 80 ans d'existence, j'en viendrais à remercier ce qui t'est arrivé.
Ce n'est pas seulement ma carrière qui en a été bouleversée, mais ma vie tout court!
Sans cela, je n'aurais jamais entrepris cette spécialisation en psychiatrie qui m'a permis de travailler au centre psycho-social, entre deux contrôles bisannuels de toute l'équipe.
Sans cela, mon univers se serait résumé à l'hôpital de la NASA, mon appartement et peut-être une fois par semaine le pub soooo british où j'avais mes entrées...
Sans cela, le célibataire que je suis n'aurait jamais eu le bonheur de se voir propulser *Grand-Père de Coeur* de deux, puis toute une ribambelle d'enfants tous plus merveilleux les uns que les autres, et bientôt arrière-grand-père pour la deuxième fois...
Sans cela, je n'aurais jamais eu le privilège d'assister en direct, depuis mon fauteuil, aux émois amoureux d'une adolescente...
Et sans cela, jamais je n'aurais trouvé l'amour et la complicité en cette femme exceptionnelle qu'est ma chère Suzanne...
Sans cela, cet homme que l'on voit là
ne serait pas le RUDY WELLS
que vous connaissez, et qui va se dépêcher de prendre l'avion avant d'en être empêché par le nouveau nuage de poussière sorti d'un volcan islandais au nom imprononçable, afin d'être là pour accueillir la petite *Abigaïl*.
C'est là mon pronostic, et sait-on jamais, peut-être qu'enfin, j'aurai le droit d'ouvrir un compte banquaire au nom de *ma* filleule ?